En tant que porte-parole national de sa profession, l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS) ne fait généralement pas de commentaires sur les questions provinciales et territoriales.
Cependant, de temps à autre, une province ou un territoire prend une décision qui exige une réponse nationale, car elle aura des répercussions considérables pour tous les Canadiens. La décision du gouvernement de l’Ontario de mettre fin prématurément au Projet pilote sur le revenu de base de la province en est une.
Le Projet pilote sur le revenu de base de l’Ontario est le premier et le plus important projet pilote en matière de revenu de base en Amérique du Nord depuis plus de 40 ans. Il bénéficie d’un large appui de l’ensemble de la classe politique au Canada, ainsi que de l’attention du monde pour sa capacité de fournir des données probantes afin d’éliminer les systèmes d’aide au revenu qui sont souvent inefficaces et stigmatisants.
Pour aller droit au but, la décision d’annuler ce projet pilote après la première des trois années prévues, alors que le parti au pouvoir avait fait campagne sur la promesse de mener l’étude à terme, est à courte vue et expose un pessimisme profond et toxique au sujet de la condition humaine.
Le gouvernement Ford dit que le projet pilote sera annulé parce qu’à son avis, un revenu de base assorti de conditions agit comme une « désincitation au travail ». La grande ironie de cette pensée, c’est que les provinces reçoivent chaque année, sans condition, le Transfert canadien en matière de programmes sociaux pour appuyer leur prestation de services sociaux.
En 2018-2019, le gouvernement de l’Ontario recevra un transfert social de près de 5,5 milliards de dollars du gouvernement fédéral. Si ce type de soutien financier inconditionnel n’est pas un facteur dissuasif pour le premier ministre Ford dans l’exercice de ses fonctions, pourquoi supposer que ce serait pour les Ontariens et Ontariennes qui ont un revenu de base de 17 000 $ par année?
En ce qui concerne le projet pilote de l’Ontario jusqu’à maintenant, les entrevues avec les participants révèlent que les familles utilisent leur revenu de base comme un plancher sur lequel elles peuvent s’appuyer pendant qu’elles établissent les bases d’une vie meilleure. Ces participants ont déclaré que le revenu de base les aidait à retourner aux études, à démarrer une petite entreprise, à passer plus de temps comme parents ou gardiens, à acheter des vêtements d’hiver chauds, à couvrir les frais de déplacement pour se rendre au travail ou à combler l’écart pendant qu’ils cherchaient le bon emploi. Les travailleurs sociaux savent que les Canadiens sont tout à fait capables de faire les meilleurs choix pour leur avenir, et la fin abrupte du programme pilote rendra la réalisation de ces plans beaucoup plus difficile, voire impossible.
En fait, les données provenant de projets semblables à l’étranger montrent qu’un revenu de base accroît l’engagement communautaire et aide les gens à intégrer le marché du travail – et que la très grande majorité des sommes versées aux prestataires de revenu de base sont dépensées directement dans l’économie locale, ce qui signifie qu’un revenu de base agit également comme un plan de relance économique.
Étant donné que le revenu est l’un des facteurs sociaux les plus importants pour la santé, le fait de s’attaquer au cycle de la pauvreté contribuerait considérablement à réduire les coûts dans les soins de santé et dans d’autres secteurs à l’avenir. Mais au-delà de ces opportunités fiscales manquées, il est injuste – pour ne pas dire insensible – de retirer brusquement du revenu des familles auxquelles on avait promis trois années de revenu prévisible, c’est-à-dire des familles qui peinent maintenant à se maintenir à flot. L’échec de la promesse électorale du gouvernement Ford de mener à bien le projet pilote témoigne de son manque de compassion et d’engagement envers les Ontariens qui ont pris le risque de participer à cette expérience audacieuse.
Nous avons écrit au premier ministre Ford pour l’exhorter à revenir sur sa décision de mettre fin à ce projet pilote qui nous a donné tant d’espoir pour un avenir fondé sur des données probantes, un avenir dans lequel chacun d’entre nous bénéficie d’un revenu de base stable et prévisible; un avenir qui a le potentiel d’assurer la dignité de tous.
Présidente de l'ACTS, Jan Christianson-Wood