Au départ, il est essentiel de reconnaître que nous reconnaissons le rôle et la responsabilité très spécifiques de la profession du travail social dans le soutien à la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission vérité et réconciliation.
La protection de l’enfance le champ de pratique auquel le public associe le plus notre profession. En effet, c’est là que de nombreux travailleurs sociaux prennent leur départ ou que beaucoup d’entre nous ont passé la majorité de notre carrière – moi incluse dans les deux cas. Et pourtant, on en sait si peu au sens large.
Nous entendons tellement d’histoires négatives sur les problèmes entourant la protection de l’enfance dans notre pays. Pas seulement les rapports d’épuisement, de stress post-traumatique, d’énormes charges de travail affectant notre capacité à pratiquer, et la déprofessionnalisation des rôles de protection de l’enfance, mais aussi les problèmes critiques du système qui ont conduit à des crises comme la surreprésentation autochtone parmi les enfants pris en charge.
En même temps, les travailleurs sociaux continuent d’être critiqués dans les médias chaque fois qu’un incident se produit, souvent parce que le public comprend très peu la profession – et le rôle des travailleurs sociaux – et peut-être le plus important, que les travailleurs sociaux font de leur mieux pour les familles dans un système sous-financé dans une société en proie à l’impact du colonialisme, du sexisme, de la pauvreté et d’autres problèmes systémiques. Et que, très souvent, les travailleurs sociaux travaillent avec agilité dans des systèmes qui ne correspondent pas à leurs valeurs pour générer des solutions éthiques et créatives basées sur les forces des clients.
Bien que chaque travailleur, chaque organisation et chaque province, territoire ou Première nation comprenne ses propres réalités, réussites et défis, il n’existe pas de tableau pancanadien de la protection de l’enfance. Ni de pratiques exemplaires au niveau national. Ni de norme nationale régissant la charge de travail. Aucune preuve n’est recueillie sur les nouvelles pratiques prometteuses.
En publiant aujourd’hui cette étude, nous cherchons des solutions pour offrir un meilleur avenir aux enfants du Canada et améliorer l’environnement de travail des travailleurs sociaux qui aident les familles à améliorer leur vie.
Alors, pourquoi sommes-nous dans cette situation? Comment se peut-il que le gouvernement fédéral n’ait pas joué un rôle de leader, alors que nous savons qu’il y a une crise dans le système, particulièrement en ce qui concerne les enfants et les familles autochtones?
La réponse courte est que de tels mécanismes fédéraux de reddition de comptes n’existent tout simplement pas.
Il est souvent choquant d’apprendre que le Transfert canadien en matière de programmes sociaux (plus de 14 milliards de dollars en 2018-2019), versé chaque année aux gouvernements provinciaux et territoriaux, est simplement ajouté aux recettes générales. L’argent destiné aux services sociaux pourrait aussi bien servir à combler des nids de poule. Nous ne savons tout simplement pas.
C’est pourquoi, depuis 2014, nous avons poussé le gouvernement fédéral à adopter une Loi sur l’action sociale, similaire à la Loi canadienne sur la santé, qui orienterait le transfert et utiliserait des principes pour guider les investissements sociaux. Ce n’est qu’un des arguments que nous faisons ici à l’ACTS et qui sont liés à cette recherche – je vous en citerai d’autres dans un instant.
Le document que nous publions aujourd’hui, intitulé Mieux comprendre les travailleuses et travailleurs sociaux en protection de l’enfance : constatations du sondage pancanadien et des interviews avec les experts, brosse un tableau des systèmes de protection de l’enfance dans chaque province et territoire, y compris les efforts visant la réconciliation.
Je suis fière d’annoncer que la recherche est incroyablement concluante – tant pour confirmer certaines de nos hypothèses sur la profession que pour révéler quelques surprises. Par exemple, on a l’impression qu’il est difficile de conserver des employés dans des postes de protection de l’enfance ou que les travailleurs sociaux ne travaillent dans ce champ de pratique qu’au début de leur carrière, mais nos recherches ont montré que plus de 60 % des travailleurs sociaux ont plus de 10 ans d’expérience dans le domaine. En affectant davantage de ressources à la protection de l’enfance, les travailleurs expérimentés peuvent mieux comprendre ce dont ils ont besoin pour aider les familles à rester ensemble tout en protégeant les enfants.
Pour la première fois, nous avons une vue d’ensemble de la profession en matière de protection de l’enfance au Canada, et cette recherche a révélé d’importantes causes à plaider, tant pour notre profession que pour la société canadienne en général.
En termes de plaidoyer pour notre profession, cette recherche confirme que les travailleurs sociaux doivent être inclus en tant que premiers intervenants dans la législation fédérale conçue pour aider à combattre le stress post-traumatique et le traumatisme vicariant en milieu de travail.
Nous avons maintenant la preuve concrète qu’il faut faire quelque chose en ce qui concerne la charge de travail écrasante et la gestion toujours plus marquée par l’austérité qui prive les travailleurs sociaux du temps passé à former des relations dans leurs communautés et à aider les familles.
C’est pourquoi nous demanderons au gouvernement fédéral de lancer une étude nationale sur la charge professionnelle des travailleurs de la protection de l’enfance. Nous disons au gouvernement fédéral que lorsque les travailleurs sociaux sont empêchés de rester en poste ou de nouer des relations avec les communautés, les enfants et les familles souffrent davantage, plus d’enfants sont placés et plus de familles sont en crise.
Les données produites par ce projet sont à la fois troublantes et exaltantes, mais constituent avant tout une étape importante dans la recherche et le plaidoyer futurs.
J’ai été émue, mais pas surprise, de découvrir, grâce à ce projet, que 88 % des travailleurs sociaux ont déclaré que leurs collègues étaient leurs plus grandes sources de soutien : nous sommes les champions les uns des autres. Et bien que les travailleurs sociaux aient signalé des problèmes monumentaux, ils ont souvent signalé des niveaux élevés de satisfaction professionnelle.
Ici, à l’ACTS, notre travail consiste à aider à célébrer le travail extraordinaire que nous accomplissons tout en reconnaissant les prochaines étapes vers un avenir meilleur pour tous les enfants et les familles canadiens. Il nous incombe de poursuivre sur cette lancée grâce à cette nouvelle recherche et à un conseil d’administration appuyé par des partenaires de la fédération et des membres attachés aux principes de réconciliation pendant cette période critique de la protection de l’enfance et de la société canadienne.
Jan Christianson-Wood, Présidente