J’écris ce message pour la Journée internationale de la femme 2018, avec le sentiment que le monde change pour le mieux, et que de bien des façons, les choses ne seront jamais les mêmes. Mais en accord avec tout progrès – en particulier les progrès qui visent à corriger les inégalités de longue date – il y a un sentiment de malaise, d’agitation et parfois de contrecoup brutal pendant que nous déterminons comment « être » dans notre monde changeant. Ce qui est clair, cependant, c’est que la profession du service social est idéalement positionnée pour aider à ouvrir la voie.
Je peux comprendre pourquoi certains groupes ont le sentiment que le mouvement #MoiAussi est une nouvelle tendance. Je peux comprendre comment certains hommes et certaines femmes peuvent avoir l’impression que le monde a basculé et que, soudainement, ce qui était acceptable hier ne l’est plus aujourd’hui. Mais en tant que travailleuse sociale de longue date et féministe à vie, je peux vous dire que ces exemples dans les médias ne sont pas nouveaux, rares ou exceptionnels. Et de même, l’indignation et la solidarité entre les femmes et leurs alliés ne sont pas nouvelles non plus. Ce qui est nouveau, cependant, c’est le niveau de couverture dans les médias grand public, ce qui indique que le grand public est prêt pour cette conversation.
Comme avec toute nouvelle controversée, nous avons tous été témoins de nombreuses réactions au phénomène #MoiAussi. Certains pensent que les choses sont allées trop loin; d’autres, pas assez. Certains estiment que le mouvement est problématique parce que sa représentation dans les médias manque de diversité. À ces points de vue, je pense que le service social apporte une réponse unificatrice : il nous appartient maintenant de céderla parole à celles qui sont trop souvent réduites au silence. Au Canada, aucun groupe n’a été aussi violemment réduit au silence que les femmes et les filles autochtones. Tous les Canadiens non autochtones ont la responsabilité de veiller à ce que la voix des femmes et des filles autochtones – le groupe qui porte de façon la plus disproportionnée le fardeau du patriarcat – soit entendue au moment où cette conversation avance.
Et d’autres encore pensent que certaines, comme moi peut-être, essaient d’étirer trop loin la conversation #MoiAussi; par exemple, en parlant des femmes et des filles autochtones. Je crois que le code de déontologie dirait : il y a assez d’indignation pour tout le monde. Il y a assez de passion. Et en effet, il y a assez de plaidoyer. N’importe quelle voix pour un groupe de femmes est une voix pour toutes les femmes et, en défendant les femmes et les filles autochtones, nous défendons l’ensemble du Canada.
En ce qui concerne notre rôle à l’ACTS, nous continuerons de presser le gouvernement fédéral d’adopter non seulement une analyse comparative entre les sexes dans l’élaboration des budgets et des politiques, mais aussi une optique de réconciliation tenant compte des répercussions sur les peuples autochtones. Nous continuerons d’amplifier la voix des organisations des Premières Nations, comme la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières nations et d’autres. Nous continuerons à plaider en faveur d’un revenu de base et d’autres politiques pour veiller à ce qu’aucune femme, aucun enfant ou aucune famille ne vive dans la pauvreté.
Mais en attendant, alors que notre association et notre profession travaillent pour un changement durable et à long terme, il y a des femmes touchées par ce mouvement de façon quotidienne et viscérale. Il y a eu beaucoup de réactions contre les femmes qui se sont manifestées. Dans de nombreux cas, il existe des désaccords mesquins entre les accusés et leurs alliés quant à la nature exacte des allégations qui démontrent souvent à quel point la société doit évoluer. Combien de fois avons-nous entendu « il n’a rien fait d’illégal », ou même « ce n’est pas comme s’il l’avait clouée au sol et lui avait arraché ses vêtements ». Ces déclarations sont si cruellement décevantes, puisqu’elles ne tiennent pas compte du fait que #MoiAussi répond à des cas et à des incidents individuels, aussi bien qu’à la conception toxique de la masculinité qui nous a menés ici. Nous luttons pour un monde dans lequel les dirigeants, les célébrités et la société dans son ensemble respectent, valorisent et éduquent les femmes et les filles, et où nous sommes tous tenus à un standard au-delà de l’innocence jusqu’à preuve du contraire.
Dans la poursuite de cette norme, notre profession est idéalement positionnée pour nous guider dans une nouvelle et meilleure direction. En effet, le slogan ou la philosophie de ce mouvement, « croire les survivantes », fait partie du tissu même de notre profession : la connaissance que les personnes que nous servons sont des expertes sur leurs propres vies. Nous respectons par nature la dignité et la vérité de chaque personne. L’incidence des fausses accusations est insignifiante par rapport au nombre de femmes dont les expériences d’abus ou de harcèlement ont été ignorées, supprimées ou rejetées.
Au-delà des valeurs de notre Code de déontologie, croire les survivantes vient naturellement à la profession de travailleuse sociale pour une autre raison : la démographie. Dans une profession dominée par les femmes, il est peut-être moins exact de dire « nous croyons les survivantes » que de dire « nous savons ». Aux victimes et aux survivantes, nous disons : nous vous croyons parce que nous faisons confiance et honorons votre expérience vécue. Et parce que, en grande partie, nous aussi.
Et maintenant, en accord avec le rythme frénétique du cycle des nouvelles d’aujourd’hui, les reportages sur #MoiAussi commencent déjà à disparaître. Les travailleuses sociales seront toujours là, à écouter toujours les histoires des victimes et des survivantes, s’efforçant toujours de démanteler les systèmes et les croyances qui ont un impact négatif sur notre société pour les femmes et pour les hommes. À mesure que nous avançons, il y a beaucoup de questions sans réponse : comment pouvons-nous maintenir l’élan? Comment pouvons-nous engager et motiver les alliés? Comment impliquer les hommes – sachant que nous ne pouvons pas avoir de vrai changement sans leur concours – sans que la conversation en vienne à tourner autour d’eux?
L’ACTS continuera de promouvoir des systèmes et des politiques qui favorisent l’équité et privilégient les expériences des femmes, en particulier des femmes et des filles autochtones. Dans notre travail de plaidoyer sur la Colline du Parlement et avec nos autres intervenants, nous ne laisserons pas cette conversation mourir. Comme nous savons, les travailleuses et travailleurs sociaux canadiens continueront ce travail dans leurs relations thérapeutiques et professionnelles, dans les salles de réunion et dans les salles à manger du pays. Nos systèmes uniques et nos perspectives de la personne dans l’environnement, ainsi qu’un code de déontologie qui intègre la poursuite de la justice sociale dans notre travail quotidien, sont des outils idéaux pour commencer les prochaines étapes.
Cordialement,
Jan Christianson-Wood, M. Serv. Soc., TSI
Présidente de l’ACTS