Mémoire présenté pour l’étude de la maltraitance des aînés du Comité permanent de la justice
et des droits de la personne de la Chambre des communes
RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX
L’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS) est le porte-parole national du secteur du travail social au Canada. Sa mission est double : promouvoir la profession et faire progresser les questions de justice sociale. Notre profession met un accent particulier sur l’action, la dignité et la valeur inhérentes de toutes les personnes. Nous vous remercions de votre invitation à venir présenter la perspective du travail social sur la maltraitance des aînés.
L’ACTS soutient fermement et reconnaît le besoin urgent d’aborder et de prévenir la maltraitance des aînés. On entend par maltraitance des aînés un acte isolé ou répété, ou l’absence d’intervention appropriée, qui se produit dans le cadre de toute relation de confiance et cause un préjudice ou une détresse chez la personne âgée (National Centre on Elder Abuse, s.d.). Grâce à leurs rôles variés dans nos communautés et à leur formation spécialisée dans les perspectives systémiques, les travailleuses et les travailleurs sociaux occupent particulièrement une place privilégiée pour offrir un éclairage sur cette question.
Au cours des dernières années, nous avons mis de l’avant des cadres et des plans stratégiques qui s’harmonisent à nos mandats de justice sociale, comme le revenu de base garanti et la loi sur l’action sociale, et il s’agit de politiques qui ont le pouvoir de permettre d’aborder et de combattre les causes profondes sous-jacentes de l’injustice sociale. Renoncer à ces politiques sociales vitales peut créer et perpétuer des situations dans lesquelles les personnes âgées sont victimes de maltraitance.
L’ACTS tient à souligner et à saluer le travail du gouvernement fédéral qui a adopté des mesures et qui continue d’en adopter pour s’attaquer à ces graves problèmes. Parmi ces mesures, mentionnons l’élargissement de la portée du Supplément de revenu garanti (SRG) et de la Sécurité de la vieillesse (SV), la hausse du financement consacré aux soins à domicile, le programme Nouveaux horizons pour les aînés, le paiement complémentaire au titre de la taxe sur les produits et services (TPS) au début de la pandémie, le financement octroyé aux organismes communautaires qui fournissent des services pratiques aux aînés depuis le début de la pandémie de COVID-19, ainsi que la Stratégie nationale pour les aînés. Il s’agit là d’étapes essentielles et d’un pas dans la bonne direction, qui contribuent à la fourniture du soutien dont cette population a besoin et qu’elle mérite.
CONTEXTE
Aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, la discrimination fondée sur l’âge est illégale. Bien que plusieurs lois fédérales et provinciales s’appliquent à la maltraitance des aînés, le droit canadien ne repose pas sur une définition propre à la maltraitance ou à la négligence des aînés.
Parmi les facteurs de risque les plus courants de la maltraitance des aînés, il y a le stress lié à la prestation de soins, l’isolement social, la capacité cognitive limitée, la maladie mentale, la pauvreté, l’âgisme et la surconsommation ou l’abus de drogues illicites ou d’alcool (Peterson et coll., 2014; Roger et coll., 2015). La diversité de la population vieillissante canadienne (p. ex., les nouveaux arrivants, les groupes racialisés, les peuples autochtones et les groupes 2SLGBTQ+) complique davantage la prévention et l’intervention contre la maltraitance des aînés. Les multiples discriminations, les perceptions culturelles et personnelles de la maltraitance des aînés et les divers obstacles à l’accès au soutien et à l’information contribuent à la sous-déclaration et à l’inefficacité des mesures de prévention et d’intervention en matière de maltraitance des aînés.
Les travailleuses et travailleurs sociaux sont malheureusement conscients de la prévalence et de l’impact de la maltraitance des aînés au Canada, mais les données et les statistiques font cruellement défaut. L’étude nationale la plus récente et la plus fiable sur les mauvais traitements des aînés a été réalisée en 2004. Parmi les tendances observées, mentionnons les cas de sous-déclaration, d’ignorance et de peur et il est donc difficile pour les aînés d’obtenir justice et appui dont ils ont besoin (ministère de la Justice, 2015). Cette situation n’est qu’aggravée par le manque de services spécialisés accessibles lorsque l’on dénonce des cas de maltraitance.
Dans l’ensemble du Canada, les provinces et les territoires ont également adopté plusieurs lois visant précisément à protéger la sécurité et les droits des résidents vivant dans un milieu communautaire, c’est-à-dire dans des établissements de soins de longue durée et des maisons de retraite. Bien que la pandémie de COVID-19 ait suscité beaucoup d’attention sur la situation déplorable des soins de longue durée dans notre pays, la plupart des aînés vivent à vrai dire en milieu communautaire et les deux contextes doivent être traités de manière robuste.
Enfin, il faut souligner le travail vital effectué par bon nombre d’excellents programmes et initiatives en place, dont les réseaux locaux de lutte contre la maltraitance des aînés, mais ces réseaux ne bénéficient d’aucune aide financière. Une approche coordonnée nécessite une infrastructure soutenue.
L’ensemble disparate actuel de lois, de règlements et de définitions constitue un grave problème. L’absence d’efforts synchronisés et globaux, de définitions stables, de suivi et de rapports rigoureux signifie que le Canada ne s’attaquera pas à ce problème. Sans approche coordonnée pour assurer le bien-être socioéconomique, les aînés au Canada continueront de faire face à la pauvreté, à l’itinérance et à l’isolement social. Tout effort supplémentaire pour contrer la maltraitance des aînés ne sera pas couronné de succès si l’on n’accorde pas la priorité à ces facteurs sous-jacents.
RECOMMANDATIONS
Nous recommandons au gouvernement fédéral :
1. D’élaborer une stratégie nationale pluriannuelle financée pour tenter de contrer la maltraitance des aînés. Cette stratégie globale doit compléter et soutenir les efforts fédéraux et provinciaux actuels et être dotée de liens structurels et officiels en tenant compte de la stratégie nationale de soins à domicile, des stratégies de réduction de la pauvreté et de logement, ainsi que les autres recommandations présentées ci-dessous. Plus précisément, cette stratégie doit:
• être chapeautée par une loi fédérale pour définir clairement tous les types de maltraitance des aînés dans les milieux institutionnels, privés et publics et assurer la protection des dénonciateurs et des témoins;
• établir des exigences formelles et permanentes en matière de collecte et de suivi des données;
• viser à définir les professions dont les membres fournissent régulièrement des services aux personnes âgées, afin de pouvoir élaborer et offrir des programmes de formation ou d’éducation permanente aux praticiens ainsi qu’assurer des mesures de protection et d’intervention multidisciplinaires;
• informer le grand public et les bénévoles des agences de services sociaux et de santé sur les signes de maltraitance des aînés, l’éthique et les responsabilités légales liées à la maltraitance des aînés;
• désigner les programmes existants et créer de nouveaux programmes et octroyer un financement à ces initiatives;
2. D’agir rapidement pour mettre en œuvre un revenu de base universel garanti afin de s’assurer que les personnes âgées reçoivent le soutien nécessaire pendant et après la COVID-19. Si le gouvernement n’a pas l’intention de mettre en œuvre un revenu de base universel garanti, une bonification de la SV et du SRG devrait être prioritaire pour s’assurer que les aînés peuvent compter sur un revenu de base. Tout autre effort visant à mettre fin à la maltraitance des aînés sera vain si le revenu n’est pas pris en compte.
3. D’adopter une loi sur l’action sociale pour le Canada. Cette loi devrait intégrer des principes comme ceux de la Loi canadienne sur la santé pour contribuer à orienter le Transfert canadien en matière de programmes sociaux et d’autres efforts d’investissements sociaux. La structure relevant d’une telle loi sera de mise pour assurer le type de suivi et de collecte de données requis pour adopter une stratégie coordonnée sur la maltraitance des aînés.
4. D’accentuer le financement pour soutenir les aidants naturels au moyen de mesures fiscales, de programmes de soutien à l’emploi ou au chômage et de soins à domicile, et de réduire les obstacles à l’accès à ces mesures de soutien, à ces avantages et à ces services.
5. Comme il est mentionné précédemment, le plan canadien de lutte contre la maltraitance des aînés doit tenir compte d’un ensemble de facteurs, notamment la prévention, la protection, la préservation de la dignité et de l’autonomie, l’éducation et la sensibilisation, la prise en compte des déterminants sociaux de la santé et la désignation des facteurs de risque. Cette stratégie doit également être conforme à la loi nationale sur l’accessibilité, être diffusée en plusieurs langues et, surtout, être élaborée en consultation et en collaboration avec les personnes âgées de la communauté et celles qui ont vécu une expérience de la maltraitance des aînés.