Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux Mémoire au Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées dans le cadre de son étude sur les pénuries de main-d’œuvre, les conditions de travail et l’économie des soins
Le 7 mars 2022
L’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS) est une association professionnelle nationale qui représente les travailleuses et travailleurs sociaux du Canada. Composée d’organisations partenaires provinciales et territoriales, l’ACTS est le porte-parole de la profession depuis 1926.
Le Canada compte plus de 50 000 travailleuses et travailleurs sociaux offrant une vaste gamme de services pour soutenir la santé physique, la santé mentale et le bien-être social, tout en abordant des déterminants sociaux de la santé à l’échelle de la collectivité, de la famille et de l’individu. Comme nous le savons, la pandémie continue d’avoir des effets durables sur la santé et le bien-être social des Canadiens; il est donc plus important que jamais d’avoir accès, rapidement, à des services sociaux.
Les travailleuses et travailleurs sociaux agréés sont des professionnels dûment formés aux multiples talents, capables d’offrir de nombreux services et soins — souvent à moindre coût que d’autres professionnels — et ils peuvent, et devraient, jouer un rôle de premier plan dans la relance après la pandémie. L’ACTS se réjouit que le Comité entreprenne cette étude importante.
La pandémie a provoqué et exacerbé de nombreux problèmes pour les travailleuses et travailleurs sociaux partout au Canada et notre profession, pourtant si essentielle, n’a pas été épargnée par la « grande démission » qui touche de nombreux secteurs par suite de la pandémie.
Les problèmes les plus pressants sont les suivants :
1) La demande de travailleuses et travailleurs sociaux dans différents domaines est considérable, mais il n’existe pas suffisamment de données pour définir exactement les besoins. Cette lacune doit être corrigée dans l’intérêt des Canadiens.
Avant la pandémie de COVID-19, les travailleuses et travailleurs sociaux rivalisaient déjà d’imagination pour accomplir tout leur travail; la situation n’a fait qu’empirer. Il nous faut des données précises sur la démographie, le marché du travail, la scolarité et la formation pour nous assurer que ces travailleuses et travailleurs peuvent répondre aux besoins croissants du Canada en santé physique, en santé mentale et en bien-être social.
Il faut également des fonds pour étudier le secteur du travail social : à l’heure actuelle, nous ignorons le nombre réel de travailleuses et travailleurs sociaux, ou la proportion de ceux-ci, qui travaillent dans différents domaines au Canada, et si les effectifs actuels peuvent répondre aux besoins actuels et futurs des Canadiens. La plus récente étude subventionnée par le gouvernement fédéral, Le travail social au Canada : une profession essentielle, remonte à 2000. La pandémie de COVID-19 a accentué la demande de travailleuses et travailleurs sociaux agréés — qui assument une multitude de rôles essentiels dans nos collectivités, allant du bien-être des enfants et des écoles aux hôpitaux et à la santé mentale, en passant par le traitement de la toxicomanie, pour n’en nommer que quelques-uns — et le financement d’une étude sectorielle est essentiel pour veiller à ce que les travailleuses et travailleurs sociaux professionnels continuent de répondre aux besoins croissants du Canada.
2) La protection de l’enfance au Canada est en crise : L’ACTS a réalisé une étude nationale avant la pandémie qui lui a permis de confirmer que les travailleuses et travailleurs sociaux s’épuisaient à un rythme alarmant principalement en raison du grand nombre de dossiers qui leur sont confiés et de la complexité de ceux-ci. Cet épuisement provoque un fort roulement du personnel qui est particulièrement nuisible dans les collectivités rurales, éloignées et nordiques déjà mal desservies.
De plus, nous avons été témoins pendant la pandémie de COVID-19 d’une augmentation fulgurante de la violence entre partenaires intimes et de la violence conjugale; cela signifie qu’un nombre croissant de familles ont des contacts plus fréquents avec les services d’aide à l’enfance. Puisque les effets de la pandémie perdurent, notamment le stress financier, l’isolement social et l’effondrement des réseaux d’entraide et de services — des facteurs qui exacerbent à la violence — il est plus crucial que jamais de s’assurer que les travailleuses et travailleurs sociaux du secteur de l’aide à l’enfance ont tout ce dont ils ont besoin pour réagir.
Selon l’étude nationale réalisée par l’ACTS en 2018, 75 % des travailleuses et travailleurs sociaux du secteur de l’aide à l’enfance signalaient que leur charge de travail était impossible à gérer et devenait un problème grave; 72 % ont indiqué que leur charge de travail ne leur permettait pas de consacrer suffisamment de temps à leurs clients; 45 % des travailleuses et travailleurs sociaux qui ont abandonné la profession l’ont fait parce qu’ils étaient épuisés ou souffraient d’un traumatisme vicariant.
En bref : la charge de travail et la complexité des dossiers sont des facteurs clés qui expliquent que les travailleuses et travailleurs sociaux abandonnent le secteur de l’aide à l’enfance; les organisations n’ont pas suffisamment de ressources en santé mentale et en bien-être pour venir en aide à leurs employées qui souffrent d’un traumatisme vicariant ou d’un trouble de stress post-traumatique; on manque singulièrement de données et d’information pour orienter les politiques et la planification. Les travailleuses et travailleurs sociaux du secteur de l’aide à l’enfance sont censés tisser des liens avec les collectivités et aider les membres d’une famille à demeurer ensemble. Leur lourde charge de travail s’accompagne d’un fardeau administratif, tandis que les ressources insuffisantes pour traiter leurs mauvaises expériences de travail et l’établissement de relations personnalisées avec leurs clients sont des éléments trop souvent négligés.
Les interventions destinées à soutenir les familles surviennent trop souvent après un incident où il faut agir pour assurer la sécurité d’un enfant, au lieu de renforcer la famille pour que l’enfant demeure en sécurité parmi les siens. Les services d’aide à l’enfance réussissent le mieux à aider les familles à demeurer ensemble lorsqu’une collectivité à une relation saine et durable avec une travailleuse ou un travailleur social. À l’heure actuelle, la lourde charge de travail provoque le départ de travailleuses et travailleurs sociaux, ce qui se traduit par un fort roulement de personnel dans les collectivités, roulement qui, à son tour, nuit aux relations des familles avec les travailleuses et travailleurs sociaux et les dissuade de demander de l’aide avant que les problèmes ne surviennent. La situation est particulièrement difficile dans les régions rurales et éloignées, où il peut être ardu d’embaucher des employés et de les conserver.
Enfin, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, il est essentiel d’examiner attentivement toutes les raisons qui poussent les travailleuses et travailleurs sociaux du secteur de l’aide à l’enfance à abandonner leur profession. Il n’y a pas eu étude nationale au Canada pour aider les organisations d’aide à l’enfance, dans les réserves et ailleurs, à déterminer à quoi correspond une charge de travail saine et adéquate pour leurs employés, ou à conserver et à protéger leurs employés. Il est troublant de constater le manque de données et de renseignements pour orienter les politiques et la planification en vue de résoudre ces problèmes.
Un tel projet comporterait, idéalement, deux volets : d’abord, une étude rigoureuse portant sur la charge de travail et la complexité des dossiers notamment au moyen d’une revue de la documentation et d’une analyse du milieu; un examen des champs de compétences; des entretiens avec des experts; des entretiens avec des dirigeants de sociétés d’aide à l’enfance; des entretiens avec des travailleuses et des travailleurs sociaux du secteur de l’aide à l’enfance; des entretiens avec des gens qui ont eu affaire avec des sociétés de l’enfance. Ensuite, il faudrait élaborer des lignes directrices exemplaires pour déterminer correctement la taille de la charge de travail et la complexité des dossiers, et des lignes directrices exemplaires pour aider les organisations à protéger la santé et le bien-être de leurs employés.
3) À l’instar des autres employés essentiels, les travailleuses et travailleurs sociaux ont été durement touchés par la pandémie. Des fonds sont nécessaires pour répondre aux préoccupations particulières de ces travailleurs en matière de santé mentale, notamment les blessures morales, les traumatismes vicariants et les autres préoccupations de santé mentale en milieu de travail. Par exemple, dans bien des domaines du travail social, il est essentiel de pouvoir être physiquement présent dans le milieu de vie des clients pour évaluer leur sécurité et les risques éventuels, ou simplement leur fournir les services, les soins et l’aiguillage dont ils ont besoin. La pandémie a provoqué un grand stress et des blessures morales chez bon nombre de travailleuses et travailleurs sociaux qui ne peuvent avoir ces interactions en personne en raison, principalement, des directives de la santé publique. Cette situation a accéléré la transition des services sociaux en mode virtuel, ce qui a provoqué des blessures morales et de l’épuisement chez les employés et qui continue de le faire.
4) Toute loi visant les premiers répondants doit aussi tenir compte des travailleuses et travailleurs sociaux, qui sont souvent les premiers professionnels sur place en cas de crise. Le Canada doit en faire davantage pour que les compétences uniques des travailleuses et travailleurs sociaux soient présentes dans le réseau de soins des collectivités de toutes tailles et de toutes les régions du Canada et que ces travailleuses et travailleurs bénéficient des conditions nécessaires pour demeurer et s’épanouir dans leur rôle essentiel.