Le 5 septrembre 2018
L’honorable Jean-Yves Duclos
Ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)
K1A 0A6
Monsieur le Ministre,
Au nom de l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, je vous écris pour vous informer des résultats de nos recherches majeures récentes sur les travailleurs sociaux et la protection de l’enfance au Canada et pour solliciter votre aide afin d’améliorer les systèmes de protection de l’enfance au Canada.
Pour commencer, l’ACTS est très favorable à votre retour au fédéralisme coopératif, surtout en ce qui concerne la prestation équitable de services de santé et de services sociaux partout au Canada. La Stratégie nationale sur le logement et la récente Stratégie nationale de réduction de la pauvreté sont des éléments clés d’un Canada plus juste et meilleur, et nous avons applaudi à chaque étape les mesures prises par votre gouvernement pour changer les choses. L’une des prochaines étapes critiques, cependant, est de s’attaquer aux crises dans nos systèmes de protection de l’enfance – votre gouvernement a d’ailleurs qualifié de « crise humanitaire » la surreprésentation autochtone parmi les enfants pris en charge.
Paru à la fin d’août 2018, notre document de recherche, intitulé Mieux comprendre les travailleuses et travailleurs sociaux en protection de l’enfance : constatations du sondage pancanadien et des interviews avec les experts brosse un portrait sombre des systèmes de protection de l’enfance dans chaque province et territoire.
La recherche a pris deux formes principales : un questionnaire national bilingue rempli par plus de 3200 travailleurs sociaux, ainsi que des entretiens avec des responsables de la protection de l’enfance et des experts de différentes provinces.
Voici quelques-unes des statistiques les plus importantes qui ont été révélées : 75 % des travailleurs sociaux déclarent que les charges de travail impossibles à gérer constituent un problème critique dans leur pratique; 44 % ont été victimes de menaces ou de violence au travail; 45 % des travailleurs sociaux qui ont quitté le domaine l’ont fait en raison d’un stress ou d’un traumatisme indirect et 72 % disent que les responsabilités administratives les empêchent de passer suffisamment de temps avec les clients. Plus choquant encore : 65 % des dossiers touchent des enfants et des familles autochtones.
Ces statistiques brossent un tableau où les travailleurs sociaux sont empêchés de rester en poste ou d’établir des relations avec les collectivités, les enfants et les familles, ce qui se traduit par un plus grand nombre d’enfants pris en charge et un plus grand nombre de familles en crise.
Pour résumer nos constatations à l’échelle du Canada :
- la charge de travail et le nombre de cas excessifs sont des facteurs clés qui incitent les travailleurs sociaux à quitter les postes de protection de l’enfance;
- les ressources en santé mentale et en mieux-être des organisations sont insuffisantes pour répondre aux traumatismes indirects du personnel;
-
il y a un manque troublant de données et d’information adéquates pour orienter les politiques et la planification.
Le rôle prévu des travailleurs sociaux dans la pratique de la protection de l’enfance est d’établir des relations avec les collectivités pour aider les familles à demeurer intactes. Dans le climat actuel, avec des charges de travail énormes qui exigent un fardeau administratif écrasant, cet aspect individuel du travail social est souvent relégué aux oubliettes. Les familles qui ont besoin d’interventions de soutien ne sont alors vues qu’une fois qu’un incident fâcheux s’est produit, ce qui entraîne la prise en charge d’un autre enfant.
Nous savons également que les services de protection de l’enfance sont ceux qui réussissent le mieux à garder les familles unies lorsque la collectivité entretient une relation saine et à long terme avec un travailleur. À l’heure actuelle, le nombre élevé de cas cause un épuisement si fréquent que de nombreux travailleurs sociaux quittent le domaine de la protection de l’enfance, ce qui crée un « effet de porte tournante » qui rompt les relations familiales avec les professionnels, les dissuadant de demander de l’aide en amont.
À l’heure actuelle, il n’y a pas de normes nationales régissant le nombre de cas dans les pratiques de protection de l’enfance. Les outils permettant de mesurer la taille et la complexité des cas varient d’une région à l’autre. Les pratiques et les réussites varient également. Il n’y a pas eu d’étude à grande échelle pour aider les organismes de protection de l’enfance, tant dans les réserves qu’à l’extérieur, à déterminer la charge de travail saine et appropriée de leurs travailleurs.
Cela dit, nous exhortons votre bureau à appuyer l’élaboration d’une telle initiative. Possiblement avec des fonds alloués par Emploi et Développement social Canada. Une telle étude est une étape cruciale pour améliorer le bien-être des enfants au Canada.
Encore une fois, au nom de la fédération de l’ACTS, je vous remercie des mesures que votre gouvernement a prises pour améliorer le Canada et j’espère que vous collaborerez à cette initiative. Le directeur général de l’ACTS, Fred Phelps, serait ravi de discuter davantage avec votre bureau. Vous pouvez le joindre à fred.phelps@casw-acts.ca / 613‑729‑6668, poste 222.
Cordialement,
Jan Christianson-Wood, M. Serv. Soc., TSI
Présidente de l’ACTS