
Déclaration de l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux sur
l’accès à l’avortement au Canada
Été 2022
L’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS) est favorable aux droits reproductifs. Le code de déontologie de l’ACTS privilégie l’autodétermination, et l’association affirme que l’avortement accessible et en temps opportun n’est pas seulement un soin de santé, mais un droit humain. Nous devons faire davantage pour garantir que toutes les personnes au Canada aient accès à des services de soins de santé opportuns, appropriés et abordables, ce qui inclut l’avortement.
Roe v. Wade est le nom de l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis de 1973 qui a fait de l’accès à l’avortement un droit constitutionnel aux États-Unis. Le Canada a ressenti une onde de choc lorsque cette décision a été annulée en juin 2022 — laissant aux États américains le soin de disposer de la question. Les réactions du public ont été très variées, allant du soulagement de vivre au Canada où l’avortement est légal dans toutes les provinces et tous les territoires, à la crainte que quelque chose de semblable puisse se produire ici. Et si ce soulagement est certainement justifié, car il est vrai que l’avortement est techniquement légal dans tout le pays, l’équité et l’accès sont des questions totalement différentes. Nous devons rester vigilants pour ce qui est de la possibilité qu’une situation similaire se reproduise au Canada. L’attention des médias et du public générée par la situation des États-Unis représente une occasion de poursuivre le dialogue sur l’amélioration des services, la réduction des obstacles et la garantie d’un accès continu aux services d’avortement au Canada.
D’emblée, il faut reconnaître que le dialogue sur l’avortement est intimement lié à des conversations plus larges sur les droits et la justice en matière de reproduction. Ces discussions portent sur la sexualité, le genre, l’identité, l’accès aux contraceptifs, les déterminants sociaux de la santé (y compris la question du libre choix de porter et/ou d’élever un enfant lorsqu’on manque de ressources), et les institutions médicales et juridiques qui ont soutenu le racisme, le colonialisme et la misogynie. Cela dit, la présente déclaration vise à répondre directement au climat public actuel dans le sillage de l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade et des menaces spécifiques à l’accès à l’avortement au Canada.
Des obstacles bien réels compliquent l’accès à l’avortement au Canada, même s’il a été décriminalisé en 1988. L’un des obstacles les plus évidents relève de la géographie : de nombreuses régions rurales et éloignées, ainsi que certaines petites communautés urbaines, n’ont pas accès localement aux services d’avortement (en raison de la réglementation provinciale, du manque d’infrastructure, ou des deux). Ce premier obstacle en implique un deuxième : le coût. Les personnes qui se déplacent pour avoir accès à un avortement doivent le faire à leurs propres frais, ce qui est prohibitif et représente un grave problème d’équité. Le délai créé par la recherche des fonds voulus peut également mettre en danger la santé des personnes demandant un avortement, ou restreindre davantage les endroits où elles peuvent accéder à des soins.
Un autre problème pratique d’accès est celui des institutions confessionnelles, qui sont autorisées par la Charte canadienne des droits et libertés à refuser d’offrir des services d’avortement. Il existe, par exemple, plus d’une centaine d’hôpitaux confessionnels financés par l’État dans le pays. Ces établissements sont souvent, dans les petites communautés, les seuls hôpitaux disponibles, ce qui oblige une fois de plus les personnes souhaitant avorter à quitter la région.
Les autres obstacles à l’accès sont l’ignorance et la méfiance envers les institutions publiques : dans de nombreuses régions, la procédure d’accès à l’avortement n’est pas enseignée dans les écoles ou discutée dans d’autres lieux publics. Les voies d’accès peuvent être difficiles et confuses. Certaines populations, notamment les Autochtones, les personnes racialisées, les personnes handicapées, les personnes vivant dans la pauvreté et les personnes 2SLGBTQIA+, ont une longue histoire de violence, de mauvais traitements et de négligence médicale, tant de la part de la communauté médicale au sens large que des différents niveaux de gouvernement, en raison du racisme et du colonialisme. La réparation de ces relations et le renforcement de la confiance dans les services de santé publique doivent faire partie du travail de réconciliation et des efforts de réparation.
Un autre problème est que l’avortement est généralement considéré comme une question concernant strictement les femmes cisgenres : or il n’en est rien. Des personnes de divers sexes et identités peuvent avoir besoin de services d’avortement, un fait qui n’est toujours pas bien compris ou soutenu par de nombreux décideurs politiques et professionnels de la santé en raison d’un manque d’éducation et de sensibilisation, ainsi que de préjugés. Les personnes 2ELGBTQIA+ sont déjà confrontées à de nombreux obstacles en matière d’accès aux services de santé, et l’avortement ne fait pas exception. De meilleurs services d’avortement qui reconnaissent les expériences vécues et les besoins uniques en matière de soins de santé des personnes 2ELGBTQIA+ sont nécessaires de toute urgence dans tout le pays.
La stigmatisation est également un obstacle à l’accès à l’avortement — à la fois intériorisée, par la personne qui envisage de recourir à l’avortement, et par la communauté dans son ensemble. Cette stigmatisation est attribuable à divers facteurs, notamment le manque d’éducation sur l’avortement en tant que service de santé légitime et nécessaire comme tout autre, le manque de compréhension des innombrables raisons pour lesquelles une personne peut avoir recours à l’avortement, et les forces plus larges de la misogynie, du racisme et du colonialisme qui cherchent à contrôler le corps et les choix des femmes, des transgenres, des personnes de genre différent ou queer et des personnes bispirituelles. Nous devons opposer à ces récits le simple fait que l’avortement est un soin de santé nécessaire à de nombreuses identités.
L’avortement étant un sujet très polémique, la question de la sécurité physique et émotionnelle de l’accès à ce service dans une communauté se pose également : de nombreuses provinces n’ont pas de législation pour établir des « zones sûres » garantissant qu’une personne peut entrer dans une clinique ou un site de soins sans craindre d’être harcelée par des manifestants. L’avortement ne sera pas pleinement accessible au Canada tant que chaque personne cherchant à se faire avorter n’aura pas la garantie de pouvoir le faire sans craindre l’intimidation et le harcèlement.
Ce qui précède donne un aperçu des nombreuses barrières qui doivent être levées pour améliorer l’accès à l’avortement au Canada et nous faire passer d’un état de légalité passive à un accès et à des soins actifs. Mais en plus de ces préoccupations, il existe une menace réelle de retour en arrière au Canada en ce qui concerne la légalité de l’avortement ou l’accès à celui-ci : Divers projets de loi d’initiative parlementaire ont été déposés dans ce but au cours des dernières années. Pour résumer : nous devons également rester vigilants quant au droit humain fondamental à l’avortement et à tous les services de santé connexes.