J’ai eu l’honneur de présider aux destinées de l’ACTS de 1985 à 1987. Lorsqu’on m’a demandé de relater un fait marquant de ma présidence, le tout premier souvenir qui m’est venu à l’esprit a été ce voyage en Chine que j’ai effectué à l’occasion des Conférences internationales de développement social, à Tokyo en 1986. 

D’autres événements auraient également pu faire l’objet de cet article, telle cette mémorable rencontre du Conseil d’administration à Charlottetown (Î-P-E), au mois de juin 1986, où nous avions été reçus si chaleureusement par les travailleurs sociaux de l’Île. Des agapes bien arrosées se sont terminées tard dans la nuit par du chant choral devant la résidence du lieutenant-gouverneur de la province…Mais ceci est une autre histoire!

En août ’86, nous étions une trentaine de travailleurs sociaux et travailleuses sociales ainsi que des intervenants en sciences humaines, originaires de tout le Canada, à entreprendre un périple de trois semaines en Chine et à Hong Kong. Notre guide était Me David Woodsworth qui avait une longue expérience de l’Orient. Il était assisté de Patsy George, travailleuse sociale de Vancouver. Ce voyage s’est déroulé entre la mort de Mao Tsé Toung en 1976 et les événements de la Place Tien An Men de 1989. La Chine s’ouvrait avec difficulté et méfiance aux visiteurs étrangers. Chacune de nos visites devait être rigoureusement encadrée par des guides locaux qui nous débitaient des propos , de toute évidence, élaborés par le régime en place; ces propos glorifiaient à la fois Mao et le processus de « modernisation » dans lequel la Chine s’était engagée. Évidemment, au cours des journées préparatoires au voyage, on nous avait prévenus qu’en Chine, il fallait apprendre à « lire entre les lignes »…

Nous avons parcouru le pays du nord au sud, le long de la côte qui longe la mer de Chine. Nos moyens de transport ont été l’autocar, le train, le bateau sur le Grand Canal et sur le fleuve Yangsé, la marche sur la Grande Muraille. Notre voyage devait nous faire connaître certaines infrastructures de la société chinoise ainsi que des institutions de santé et de services sociaux. Nous avons donc visité des communes modèles, des établissements de santé et de convalescence qui semblaient florissants, des appartements pour personnes âgées, (qui, selon la traduction des guides avaient toujours quatre-vingt-un ans…).

Cependant, toutes les incongruités, les inconforts, la chaleur oppressante, les indigestions, pâlissent considérablement dans mes souvenirs en comparaison à des images inoubliables, la plupart étant reliées à cette expérience vécue et ressentie du pays le plus peuplé sur la planète. Les images les plus marquantes :

  • Les huit millions de vélos qui s’élancent dans les rues de Shanghai à l’heure de pointe; nous nous interrogions, à l’époque, sur ce qui adviendrait de la Chine et de la planète Terre lorsque les Chinois seraient autorisés à posséder des voitures…
  • Le spectacle d’une misère sans nom, lorsque notre autocar se vit forcé d’emprunter un chemin de campagne non autorisé, à cause de travaux sur la route principale…
  • La promenade sur la Place Tien An Men un soir d’été, alors qu’un million de citoyens de Beijing - femmes, enfants, vieillards, hommes – y prenaient un peu de fraîche, , affalés sur le macadam…
  • La dignité incomparable de ce peuple souriant, malgré la discipline de fer dont nous constations les effets chaque jour à travers les propos de nos jeunes guides, et malgré l’absence de choix pour la conduite de leur vie…
  • Les jeunes femmes travaillant à mains nues dans l’eau bouillante, à démêler les cocons des vers qui produisent la soie…
  • Les « vieilles » femmes de cinquante ans qui se devaient de prendre leur retraite afin de s’occuper des petits enfants…
  • Cette fête improvisée que nous avions initiée un soir en soufflant des baudruches pour les enfants d’une ruelle. Une centaine de petits avec leurs parents, grands-parents se sont rassemblés autour de nous. Ce fut un spectacle inoubliable!
  • La descente du Grand Canal en bateau au milieu d’innombrables embarcations qui faisaient du Canal une voie aussi encombrée qu’une autoroute…
  • Enfin, des paysages d’une grande beauté, des temples et des lieux sacrés qui ne ressemblaient en rien à nos images occidentales. C’était le dépaysement total!

La Chine a bien changé au cours des vingt dernières années. Ces changements m’apparaissent toutefois comme un évolution logique de son esprit d’entreprise, de la discipline qui la caractérisait déjà il y a vingt ans. Je me sens extrêmement favorisée d’avoir pu profiter de cette vision d’une Chine aujourd’hui disparue, avant qu’elle n’entre tout à fait dans le vingtième siècle.

Je crois bien qu’on sort de la Chine un peu différent de ce qu’on était au moment d’y entrer. Nous apprécions certes davantage de vivre dans un pays où les droits humains font l’objet d’une protection constitutionnelle. Nous avons aussi la chance d’exercer une profession qui peut faire une différence dans la vie de nos concitoyens. Longue vie à l’ACTS!

Madeleine Rivard-Leduc, t.s.