C’est avec tristesse que l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS) souligne le décès de James Gripton, Ph.D., TSI. Dans cet éloge funèbre, Gayle Gilchrist James partage ses souvenirs et traite de nombreuses réalisations de Jim.
ÉLOGE FUNÈBRE
JAMES MACPHERSON GRIPTON, Ph.D, TSI
Professeur émérite de service social
Université de Calgary
Le 6 novembre 2005
Centre Rozsa, Université de Calgary
Jim, Mary, Stuart, familles, amis et collègues réunis...
Je me sens incroyablement honorée que Mary Valentich et Stuart Gripton m’aient demandé de parler de Jim que j’ai connu pendant 43 ans. Il a été mon premier conseiller pédagogique à l’Université de Toronto, un confrère de profession et d’université ainsi qu’un mentor et un ami.
Le début de notre relation n’augurait rien de bon. En septembre 1962, j’avais rendez-vous avec Jim à son bureau de l’Université de Toronto, puisqu’il était mon conseiller. Il était occupé m’a demandé d'attendre quelques minutes. Je me suis donc assise dans le corridor et j’ai lu.. Plus d’une heure s’étant écoulée, j’ai timidement frappé à sa porte une autre fois. Il était atterré d’avoir oublié ma présence. Avec toute la sagesse que j’avais acquise en tant qu’étudiante de 22 ans, j’ai tiré trois conclusions personnelles de cet événement : la première était qu’il devait faire partie de ces professeurs distraits dont j’avais entendu parler, mais que n’avais jamais rencontrés; la deuxième voulait qu’en tant que nouvelle recrue au baccalauréat en service social, je devais être très quelconque et que je m’étais peut-être inscrite au mauvais programme; et, en dernier lieu, qu’il commençait peut-être à avoir des troubles de mémoire, parce qu’après tout il était « âgé » à 40 ans.
Trente-cinq ans plus tard, Allan Irving, Ph.D. (alors rattaché à l’Université de Toronto) et moi avons proposé que Jim se voit attribuer une adhésion à vie à l’Association canadienne des écoles de service social à titre honorifique. Sa candidature a été retenue. Dans notre proposition, j’avais énuméré les réalisations qui suivent, parmi tant d’autres :
Ses réalisations se sont multipliées tout au cours de toute sa vie, sans qu’il cherche à les étaler. Il était le genre de personne à contribuer à l’avancement des professions et de l’éducation professionnelle; plus précisément, il croyait en la continuité intergénérationnelle, en l’intégrité, en l’autorité de son expertise très concrète, tout en restant ouvert aux interprétations des autres et à l’importance d’être un professionnel moral et éthique.
De plus, il a toujours été à la fine pointe, en prenant des risques et en présentant des faits qui ne deviendraient que bien plus tard monnaie courante. Je crois que le mieux que je puisse dire à son sujet c’est qu’il a toujours cherché à élargir nos horizons, dans la pratique et l’avancement du savoir, même lorsque ce savoir n’était pas « populaire ».
Il a travaillé dans tous les champs de pratique, et il l’a fait avec honneur et intégrité, en accumulant les succès avec le temps. Ces honneurs, ces prix et ces « premières » n’ont jamais compté pour lui. Il était l’universitaire, le praticien, le mentor tranquille, l’homme qui aimait grandement sa profession et qui aimait l’enseigner aux autres. Malgré tout cela, il n’a jamais cherché la gloire ou l’argent, comme tant d’autres l’ont fait. Il cherchait plutôt à accomplir ce qu’il croyait être le devoir d’un professionnel responsable et d’une personne privilégiée. Cela explique peut-être pourquoi, après tant d’années, il ne me reste que mes notes de cours de deux professeurs de l’Université de Toronto : Jim Gripton et Albert Rose. Et, je viens tout juste de redonner à Jim mes notes (le 20 avril 1997).
Le temps me manque et je ne suis pas en mesure de vous énumérer toutes les réalisations de Jim, mais permettez-moi de vous en présenter un échantillon et un bref commentaire.
En 1943, Jim a lancé le premier club d’action sociale, avec deux amis étudiants de l’Université de Toronto. Deux ans plus tard, il a obtenu son baccalauréat.
Il a été membre du Japanese Canadian Coordinating Committee (1944 à 1945), participant à coordonner l’opposition de divers groupes de défense des droits civiques et des églises à l’internement de Canadiens d’origine japonaise et à la confiscation de leurs biens par le gouvernement du Canada.
En 1946, avec trois amis, il a mis sur pied le premier camp de jour urbain de Toronto (toujours en existence).
En 1946, il a été le premier président de la section de Toronto du Social Services Employees Union of America.
À la fin des années 1950, il a été nommé premier directeur de la formation et du personnel à la Metro Toronto Children’s Aid Society (CAS). Il a créé des formules de travail souples pour les femmes travailleuses sociales qui étaient mères et qui voulaient travailler à temps partiel de leur foyer. Il a recruté des travailleuses sociales de la Grande-Bretagne par l’intermédiaire de la Societu for Overseas Settlement of British Women, créant aussi des postes d’agent de bien-être social auxiliaires et a donnant de la formation à l’interne.
En 1964, toujours à la Metro Toronto CAS, il a créé une simulation par ordinateur des services d’adoption (un présage de ce que l’avenir nous réservait). Cette simulation démontrait la rentabilité des services intensifs pour l’adoption d’enfants difficiles à placer.
De 1964 à 1965, à la faculté de service social de l’Université de Toronto, Jim a été le 5e à obtenir un doctorat, Richard Splane étant le premier. Il a été le premier professeur à inciter ses étudiants en maîtrise à se servir d’ordinateurs pour leur recherche de thèse. De plus, il a été le premier à se servir d’un ordinateur pour sa propre thèse de doctorat. Nous parlons aujourd’hui de cyberapprentissage et de télé-enseignement... je voulais simplement que vous sachiez comment nous y sommes parvenus.
En 1966, Jim s’est joint au Programme de subventions nationales au bien-être social de Santé et Bien-être social Canada, à titre d’agent principal des subventions. Il était responsable de gérer les subventions pour des recherches de démonstration en bien-être social.
De 1969 à 1971, Jim a participé à un comité chargé de l’élaboration des statuts de l’Association canadienne des écoles de service social (ACESS); et il a entrepris, pour le compte du Conseil canadien de développement social, la première étude nationale sur les services de garde d’enfants. C’est à cette époque que j’ai repris contact avec Jim, au moment où il été élu au conseil d’administration de l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS), où je représentais l’Alberta Association of Social Workers.
De 1970 à 1971, ce fut la recherche de Jim qui a étalé au grand jour le fait que le service social traitait de façon inéquitable les femmes travailleuses sociales, comparativement aux hommes. À compétence égale, les femmes canadiennes n’avaient pas les mêmes occasions de promotion ou la même rémunération que les hommes.
En 1982, Jim consacrait sa recherche au sexisme dans l’éducation en service social, à tous les paliers. Et, je me souviens d’avoir été atterrée de découvrir, après sept années comme universitaire et en tant que femme mariée, que peu de femmes mariées (ou antérieurement mariées) étaient titulaires de doctorats en service social au Canada.
En 1982, Jim et son collègue Richard « Butch » Nutter, Ph.D. ont obtenu une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines pour effectuer la première enquête sur la recherche en service social au Canada, et cela avec l’aval de l’Association des travailleuses et travailleurs sociaux du Canada.
Je dois omettre, faute de temps, les contributions de Jim à la mise sur pied des premiers cours d'études supérieures sur la sexualité, et le fait qu’il a été, avec Mary, chef de file international en éducation sexuelle, en counseling sexuel, en sexothérapie et en formation et en supervision de sexothérapeutes certifiés.
J’omets également les contributions de Jim (et de Mary) au comité de discipline de l’Alberta College of Social Workers; le témoignage d’expert de Jim au service des tribunaux; les ateliers donnés conjointement avec Mary pour notre profession sur le dépassement des limites; leurs publications conjointes; les plus de cinquante publications de Jim; et la création, avec Audrey Ferber, du premier cours universitaire au Canada sur la pratique privée en service social.
Pas plus tard qu’en juillet 2005, Jim présentait (avec Mary) des travaux de recherche érudite au Congrès mondial de sexologie à Montréal.
Jim Gripton était pour moi un modèle à émuler et un mentor; il est entré dans ma vie spontanément et par hasard. Il était un homme d’une grande honnêteté et éthique, qui avait de la classe et du style. Jim traitait avec une incroyable dignité tous ceux qu’il côtoyait, même ses adversaires personnels et intellectuels. J’ai appris de lui (et de Dick Ramsay) ce pourrait être le monde si seulement nous respections tous nos propres codes de conduite professionnels et j’ai appris ce que les plus convaincus nous avaient à cœur et ce qui avait une signification pour eux.
Jim est mort d’un cancer dont l’évolution a été similaire au mien et à celui de bien d’autres (pas tous de cette faculté).
Je voudrais qu’on se souvienne de paroles écrites sur un mur de l’hôpital Princess Margaret de Toronto, des paroles qui, je crois, concordent avec les croyances de Jim :
« Le cancer est tellement limité. Il ne peut brimer l’amour. Il ne peut anéantir l’espoir. Il ne peut ébranler la foi. Il ne peut détruire la paix. Il ne peut briser une amitié. Il ne peut éteindre des souvenirs. Il ne peut étouffer le courage. Il ne peut envahir l’âme. Il ne peut voler la vie éternelle. Il ne peut anéantir l’esprit. »
Adieu, cher ami.