Physician-Assisted Death: Discussion Paper - April 2016

 

INTRODUCTION

Ce document a été rédigé par l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS en réaction à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Carter c. Canada (procureur général) portant sur l'aide médicale à mourir (AMM), et la première lecture de le Projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) le 14 avril 2016.

En 1994, l'ACTS a produit Énoncé de principes sur l’euthanasie et le suicide assisté, qu'elle a réédité en 2015 à la suite de l'arrêt Carter. Ces principes servent de fondement au présent document de discussion et établissent un contexte pour les principaux champs de discussion relatifs à l'AMM :

  1. Le moment est venu pour le gouvernement fédéral d'élaborer des normes pancanadiennes, tant pour les soins palliatifs que pour l'AMM;
  2. Une approche misant sur les soins palliatifs d'abord – incluant l'élaboration d'un modèle plus énergique et plus accessible des soins palliatifs – est essentielle pour assurer que les Canadiens ne se tournent pas vers l'AMM en raison d'un manque de services palliatifs adéquats ou accessibles;
  3. Il faut mettre en place des mesures de protection vigoureuses à l'intention des personnes vulnérables en raison de leur âge, de leur santé, d'un handicap ou de tout autre facteur, et s'assurer qu'aucun Canadien ne se tourne vers l'AMM en raison de pressions exercées sur lui;
  4. Les équipes affectées au soin de Canadiens envisageant l'AMM devraient inclure des travailleurs sociaux en raison de leur perspective et de leur expertise uniques;
  5. Le Code criminel du Canada devrait être modifié pour inclure explicitement une protection juridique de travailleurs sociaux impliqués dans le processus de l'AMM;
  6. Les travailleurs sociaux ont besoin d'une formation et d'un appui particulier à l'AMM.

Ce document de discussion a été élaboré en consultation avec les organisations provinciales et territoriales partenaires de l'ACTS ainsi qu'avec le Groupe d'intérêt sur la santé de l'ACTS – composé d'experts dans le domaine de partout au Canada.

CONTEXTE

Carter c. Canada (procureur général) est un arrêt de la Cour suprême du Canada, dans le cadre duquel on a contesté l'interdiction de l'aide médicale à mourir en invoquant que cela contrevenait aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette affaire découlait d'une poursuite intentée en 2011 par la British Columbia Civil Liberties Association (BCCLA) qui contestait les articles 14 et 241(b) du Code criminel du Canada (des dispositions interdisant à une personne d'en aider une autre à s'enlever la vie), alléguant que ces articles contrevenaient aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans une décision unanime, rendue le 6 février 2015, la Cour a invalidé les dispositions interdisant l'AMM et accordé au gouvernement fédéral un délai de 12 mois pour mettre ces changements en œuvre. En février 2016, la Cour suprême a consenti un délai additionnel de 4 mois au gouvernement fédéral, lui accordant jusqu'en juin 2016 pour adopter une loi sur l'aide médicale à mourir.

La Cour Suprême du Canada a statué que, pour être admissible à une AMM, il doit s'agir d'une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition.

Bien que l'on parle d'aide médicale à mourir, d'autres professions - dont le travail social, les soins infirmiers et la pharmacie – ont été identifiées comme faisant partie des équipes de soins, affectées aux personnes cherchant une AMM. Les travailleurs sociaux œuvrent dans divers champs de pratique (en soins de santé, en santé mentale, en pratique privée, en soins de longue durée, etc.) et auront vraisemblablement à travailler auprès de personnes envisageant une AMM.   

L'ACTS reconnaît que la perspective unique du travail social – qui tient compte à la fois des théories biomédicales traditionnelles et des théories des systèmes et des personnes dans leur environnement, avec un accent particulier sur les déterminants sociaux de la santé – constitue une dimension intégrale de l'appui aux Canadiens envisageant une AMM.

 

LA PERSPECTIVE DU TRAVAIL SOCIAL

Le Code de déontologie de l'ACTS souligne l'importance de l'autodétermination, de la capacité de consentir et du consentement éclairé :

  • Le travailleur social respecte le droit de toute personne à l’autodétermination, selon l’aptitude de cette personne et sous réserve des droits des autres personnes.
  • Le travailleur social respecte la diversité des personnes au sein de la société canadienne et leur droit à des croyances uniques sous réserve des droits des autres personnes.
     
  • Le travailleur social respecte le droit du client à faire des choix sous réserve d’un consentement volontaire et éclairé.

 Le Code de déontologie de l'ACTS poursuit en définissant l'autodétermination :

L'autodétermination constitue une valeur fondamentale du travail, social qui renvoie au droit de se diriger soi-même et à la liberté de choix sans interférence de la part d’autres personnes. L’autodétermination est codifiée dans la pratique par les mécanismes du consentement éclairé. Le travailleur social peut être obligé de limiter l’exercice de l’autodétermination par un client lorsque celui-ci n’est pas apte à s’en prévaloir ou pour empêcher qu’il fasse du tort à lui-même ou à autrui.

À la lumière de l'arrêt Carter et des valeurs déontologiques de la profession du travail social, l'ACTS désire attirer l'attention sur les points suivants :

  • Des mesures de protection doivent être mises en place pour empêcher qu'une personne se tourne vers l'AMM en raison d'un manque de soins palliatifs appropriés, suffisants, accessibles ou opportuns. L'ACTS prône une approche misant sur les soins palliatifs d'abord dans le contexte de toute la discussion sur l'AMM. Une approche misant sur les soins palliatifs d'abord dépend d'un modèle énergique et accessible de soins palliatifs accessibles à l'ensemble des Canadiens.
     
  • Le processus d'évaluation pour établir l'admissibilité à l'AMM se soit d'être rigoureux et complet au niveau des politiques et très individualisé au niveau des personnes. La capacité d'une personne d'envisager l'AMM est une composante intégrale du processus. Comme le souligne le Code de déontologie de l'ACTS, l'aptitude se définit comme la capacité de comprendre l’information permettant de prendre une décision et d’apprécier les conséquences raisonnablement prévisibles de l’action ou de l’absence d’action. Cette aptitude se manifeste de façon ponctuelle, au moment de chaque décision, et une personne peut donc être tout à fait capable de prendre une décision concernant son lieu de résidence, par exemple, mais incapable de le faire lorsqu’il s’agit d’un traitement. L’aptitude peut changer avec le temps.
     
  • La décision de choisir une AMM devrait être évaluée en fonction de l'historique propre et du contexte personnel de celui ou celle qui en fait la demande. Il doit y avoir un processus décisionnel géré convenablement entre la personne et l'équipe de soins. Les professionnels disposent déjà de pratiques et de normes cliniques d'où puiser pour orienter les meilleures pratiques.
     
  • L'ACTS reconnaît que les travailleurs sociaux font partie intégrante du dialogue sur l'AMM, vu la perspective unique de la profession qui a une vision holistique du client : en tant que personne et en tant que membre d'une famille, d'une collectivité et d'un système. Les travailleurs sociaux sont également aptes à évaluer tous les facteurs pouvant affecter l'état d'esprit d'un client : les facteurs d'ordre physique, affectif, social, économique et spirituel.
  • Il faudrait s'assurer que la personne est apte à choisir en fonction des exigences établies, tant au moment de la demande d'une AMM, que tout au long du processus, de même que juste avant de procéder au traitement. Cela aidera à atténuer les risques de coercition et à assurer qu'un client sait qu'il peut changer d'idée à tout moment.
  • Bien qu'il ne soit pas du ressort de l'ACTS de définir ce qui constitue « des problèmes de santé graves et irrémédiables », l'ACTS endosse la position de l'AIIC, selon laquelle « il est vital de faire comprendre clairement la signification de ces termes larges en ce qui a trait à une maladie ou à un handicap afin d’offrir une orientation appropriée pour tous ceux qui prodiguent l’AMM, ainsi que des connaissances publiques. »[1]
     
  • L'ACTS reconnaît en outre que des soins fondés sur une bonne recherche, bien organisés et conformes à la déontologie sont par nature moins stressants, tant pour le client que pour le professionnel. Ainsi, l'ACTS recommanderait encore une fois que l'on fasse grande attention d'inclure des mesures de sécurité aussi parfaites que possible en ce qui a trait à l'évaluation de la capacité de consentir ou tout autre facteur pouvant empêcher d'envisager l'AMM de manière volontaire et dans l'exercice complet de son autodétermination.
     
  • L'ACTS souligne que le rôle des travailleurs sociaux touche plus que le client et inclut un appui psychosocial aux familles, aux dispensateurs de soins et autres professionnels impliqués dans l'évaluation et le traitement du client. Dans diverses régions, les travailleurs sociaux membres d'équipes cliniques ont déjà été identifiés comme une ressource précieuse pouvant apporter un soutien consultatif à d'autres travailleurs sociaux impliqués dans l'AMM et à d'autres membres de l'équipe clinique interdisciplinaire tout au long du processus.
     

RISQUES ET FACTEURS À CONSIDÉRER

L'arrêt Carter assure une protection juridique aux médecins offrant une AMM, les protégeant contre toute poursuite criminelle. Les travailleurs sociaux ont besoin de cette même protection. Bien que les travailleurs sociaux ne soient pas ceux qui administreront l'AMM, ils pourraient se trouver dans la pièce avec le client et sa famille au moment de son décès.

Faisant partie intégrante des équipes de soin interdisciplinaires, les travailleurs sociaux doivent être en mesure d'offrir des services de consultation thérapeutiques, de l'information, un appui au client, à sa famille et son réseau, de même qu'un aiguillage vers des services, sans crainte de conséquences pénales, à la lumière de cet arrêt. Il est important que la protection des travailleurs sociaux en vertu du Code criminel du Canada soit clairement précisée et qu'on s'attarde aux croisements avec d'autres lois provinciales.

L'ACTS note que les médecins, les infirmières et les pharmaciens ont reçu une exemption en vertu du code criminel. L’ACTS abonde dans le sens de la recommandation 13 du Rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir (publié en février 2016), qui recommande ce qui suit :
 

Que les pharmaciens et autres professionnels de la santé offrant des services liés à l’aide médicale à mourir soient également soustraits à l’application de ces dispositions. La Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada a également recommandé que l'article 241(a) du Code criminel soit modifié dans le but de protéger les infirmières et les infirmiers et autres professionnels de la santé qui discutent avec des patients des options de fin de vie qui s'offrent à eux et de leurs désirs. »[2]

L'ACTS recommande que toute profession qui pourrait raisonnablement être appelée à participer au processus d'AMM soit expressément nommée – par opposition à l'utilisation des mots professionnels de la santé – dans le but d'assurer sa protection en vertu du Code criminel du Canada.

L'autogestion de la santé chez les professionnels est un autre facteur important à considérer. Il est raisonnable de présumer que l'aide apportée ou l'implication en matière d'aide médicale à mourir pourraient avoir des incidences négatives imprévues chez un travailleur social et entraîner un traumatisme, de l'épuisement professionnel ou d'autres formes de détresse.

Pour aider à atténuer les risques, l'ACTS recommande que soient instaurées dans tous les milieux de travail des séances d'éducation, d'information et des appuis à l'intention des travailleurs sociaux et autres professionnels participant au processus d'AMM à un niveau quelconque et que tous les milieux de travail reconnaissent le droit d'un professionnel de refuser de participer au processus ou en tant que membre d'une équipe de soins en quête d'un AMM. À cet égard, il est d'importance capitale de trouver un juste milieu entre des objections de conscience et des approches qui pourront être efficaces dans chacune des compétences. En effet, il est également important de prendre en considération le contexte géographique du décès résultant d'une aide médicale à mourir.

En outre, l'ACTS recommande que tous les milieux de travail insistent sur l'importance de créer des environnements de pratique professionnelle propices à des soins de grande qualité – ces environnements devant offrir des occasions de consultations et de débreffage.         
           

Il faut insister sur l'importance d'une assurance-responsabilité. Celle-ci ne sert pas uniquement à protéger le professionnel, elle protège aussi les prestataires de services en les assurant que le professionnel serait tout à fait en mesure de réagir à une préoccupation liée à sa conduite, le cas échéant. Ainsi, les assureurs devraient immédiatement modifier leurs politiques pour inclure ce genre de protection.

 

SOMMAIRE

  • Le Code de déontologie de l'ACTS énonce clairement que le travailleur social respecte le droit de toute personne à l’autodétermination, selon l’aptitude de cette personne et sous réserve des droits des autres personnes. En ce qui touche précisément l'AMM, le travailleur social continuera de respecter le droit à l'autodétermination des clients.
  • Des mesures de protection doivent être mises en place pour assurer que la décision de demander une AMM est libre de tout facteur coercitif afférent à des circonstances sociales ou financières ou encore à un manque d'accès à la gestion la plus efficace possible de la douleur ou des symptômes.
  • Les travailleurs sociaux ont toujours été impliqués auprès de clients ayant à prendre des décisions difficiles au sujet de leur vie et ils devraient contribuer au soin de clients qui envisagent et demandent une AMM.
  • La perspective et la formation en travail social, ancrée dans des modèles biomédicaux et biopsychosociaux traditionnels, la perspective de la personne dans son environnement, de même que les valeurs fondamentales et éthiques énoncées dans le Code de déontologie de l'ACTS, sont d'une valeur inestimable pour évaluer les motifs qui peuvent inciter une personne à demander une AMM.
  • Il est essentiel que le Code criminel du Canada soit modifié afin d'offrir une protection explicite aux travailleurs sociaux en lien avec l'AMM.
  • Des dispositions adaptées doivent être prises pour assurer le bien-être tant des clients que des professionnels. Ces dispositions devraient inclure l'élaboration de normes pancanadiennes applicables tant aux soins palliatifs qu'à l'AMM, la mise en place de mesures de protection inhérentes au processus de l'AMM (des mesures telles qu'un dépistage de routine de la capacité de consentir et de la santé mentale d'une personne), de même que des représentations soutenues en appelant à des recherches plus poussées axées sur l'excellence en gestion de la douleur et des soins palliatifs de manière plus générale.                                                                                                  

Références

Association canadienne des infirmières et infirmiers, Aide médicale à mourir - Sommaire à l’intention du Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada (2015). Ottawa, Ontario : auteure.

Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS) (2005). Code de déontologie, Ottawa, Ontario : auteure.

Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS) (2005).  Lignes directrices pour une pratique conforme à la déontologie, Ottawa, Ontario : auteure.

Parlement du Canada, Rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, L'aide médicale à mourir : une approche centrée sur le patient, premier rapport, Ottawa, Chambre des communes, 42e législature, 1re session. 2016.

 


[1] https://www.cna-aiic.ca/~/media/cna/page-content/pdf-fr/aide-medicale-a-mourir_sommaire-a-lintention-du-comite-externe-sur-les-options-de-reponse-legislative-a-carter-c-canada.pdf?la=fr, p.5.

[2] Le rapport intégral est affiché à l'adresse :  http://www.parl.gc.ca/content/hoc/Committee/421/PDAM/Reports/RP8120006/pdamrp01/pdamrp01-f.pdf

 

Resources